L'Homme aux larmes d'acier

Toujours très troublée la jeune femme suivit Embral sans opposer de résistance. Quelque part à l'étage se cachait un Lycan ou peut être avait-il fuit mais le risque était trop grand pour se croire encore en sûreté. Doucement le voleur pénétra la première pièce : rien, ce n'était qu'une petite chambre poussiéreuse dont le lit plutôt masculin n'avait pas été utilisé depuis bien des années.

- C'était... la... la cham... la chambre de mon fils ! exprima-t-elle dans un souffle court.

Aucune cachette ne pouvait accueillir un Lycan et le silence qui envahissait la maison devenait inquiétant.

Quelque chose s'éclaira alors dans la tête du jeune voleur. Cela expliquait beaucoup de choses. Son fils... Embral avait maintenant deux hypothèses.

-Votre fils ! où est-il ?

Plus de bruits. Sa première hypothèse était assez simple. Que ferait un Lycanthrope s'il était en danger et n'avait nulle part où se cacher ?
Certainement pas fuir. Non, c'était très peu probable. Et puis, cette hypothèse pouvait résoudre aussi la première question : Que faisait une telle bête dans cette maison ?
Quelqu'un de la famille, comme le fils par exemple, était le Lycan, et avait repris une forme humaine, discrète et silencieuse.

Mais, sauf erreur de ma part, si son fils est un Lycan, alors elle l'est aussi... Ou son mari ?

A moins qu'il n'ait été mordu par un...

La seconde hypothèse aborda Embral alors qu'il observait la femme. La manière dont elle avait prononcé la phrase en disait beaucoup...
Ou bien son fils était mort... tué par un Lycanthrope pourquoi pas ?
Ou bien son fils avait... disparu. Transformation en Lycan... rupture des liens ?

Le voleur espérait ne plus se tromper à présent.

-Où est votre fils... ? répéta-t-il plus doucement.

Toujours aussi tremblante la femme tentait de parler sans sanglot et sans terreur.

- Iram est parti au combat... il y... il y a deux ans. Il est revenu pour notre amour... mais mon mari n'a pu accepter ce qu'il était devenu...

Elle prit une profonde inspiration puis reprit.

- Iram est parti dans la tristesse... peu de temps après est arrivé cette bête qui a...

Repensant sûrement à son époux elle fondit en larme et se mit à genoux en implorant la déesse Nedra de l'aider.

Son mari était donc le mystérieux cadavre. Embral l'avait complètement oublié ! Mais l"hypothèse du voleur tenait toujours bon. Le fils était la bête et la bête le fils. Dans ce cas, il préférait ne pas l'affronter de nouveau. Pas devant elle. Il se sentait coupable de l'avoir blessé.

- Venez... Partons d'ici. Je ne sais pas si je vous suis d'une grande utilité, mais je peux au moins vous cacher, loin d'ici.

Son bras le brûlait encore. Il examina son bras, y trouva plusieurs traces de sang séché. La morsure était plus évidente à présent. Puis il porta son attention à son épaule. La griffure du Lycanthrope était peu profonde, heureusement.

- Faites votre choix. Vous me suivez ou bien...

Il préféra taire la fin de sa phrase car lui-même ne savait pas où une réponse négative les mènerait. Il se dirigea lentement vers les escaliers, observant prudemment les alentours, et fit signe à la femme de le rejoindre. Sur le palier, discrètement, il déposa le couteau maculé de sang, l'arme du crime. Elle appartenait au Lycanthrope.

Dans un mélange de tristesse et de profonde peur la femme s'élança d'un pas hésitant vers Embral qui venait tout juste de déposer au sol le poignard maculé de sang.

- Je vous suivrais ! lança-t-elle en guettant le moindre bruit suspect.

Soudain un bruit puissant se fit entendre de l'une des pièces du fond, quelque chose ou quelqu'un venait de faire voler en éclat une fenêtre. Le Lycan devait sûrement tenter de fuir.

- Alors partons d'ici tout de suite.

Embral signifia à la femme qu'elle pouvait le suivre. Une fois hors de la maison, le voleur chercha où se rendre pour la cacher. Il avait une petite idée en tête. Pas chez lui, non, son odeur attirerait à coup sûr le Lycan. Cependant, dans les tavernes malpropres des bas quartiers, l'odeur puante des viandes avariées, de l'alcool et des déjections brûlait les sinus et fausserait certainement le flair de la bête...
Il dirigea donc ses pas vers les gargotes, espérant ne pas tomber nez à nez avec le Lycanthrope.

Embral toujours sur ses gardes parvint malgré le vent et la pluie qui s'abattirent sur Uden à trouver une taverne assez isolée des grandes rues. A peine eussent-ils entrer que le tavernier depuis son comptoir crasseux les accueilli chaleureusement.

- Ah j'savais bien qu'un peu d'pluie allait faire venir les soiffards.

Il se mit alors à regarder la jeune femme paniquée puis constata qu'Embral saignait. Il se dépêcha d'approcher avec un linge blanc qu'il utilisait sûrement pour faire briller ses choppes.

- Vous êtes blessés ? Prenez donc ça et pansez votre plaie !

- Merci...

La proposition du tavernier tranquillisa le voleur. De part ça manière d'accueillir, cet homme avait l'air aimable et chaleureux. Souhaitant remercier le tavernier pour son aide, il accepta volontiers deux verres d'Hydromel et s'installa à une table.

- Je vous prendrai une chambre ici. Que pensez vous de cet endroit ? souffla Embral à l'oreille de la femme.

Il s'apprêtait à lui demander son nom, qu'il ignorait encore, lorsque le brave homme arriva en sifflotant.

Le tavernier très gentil accepta d'offrir à Embral deux choppes d'hydromel, ce dernier plutôt rapide déposa deux choppes et un jeu de clés sur la table. C'est alors qu'Embral lu sur une petite pancarte de bois accrochée au dessus du comptoir : "Cinq pièces d'or la nuit.".

- J'espère que cette bête se fera attraper par la garde...

La femme enveloppa l'une des choppes de ses mains tremblantes et porta le doux nectar à ses lèvres tandis que ses yeux fermés accompagnèrent une longue inspiration.

Embral porta sa main à son hydromel encore chaude et poussa un soupir de soulagement. Il avait posé son bras blessé sur la table, sur lequel était installé le linge propre. Quel sensation de bien être après les derniers évènements... Son épaule allait déjà beaucoup mieux. Il devait avoir un ou deux hématomes au ventre, cependant rien de grave.

- Ne vous laissez pas abattre, je suis sûr que la bête est déjà loin, à présent, murmura Embral en souriant.
Vous avez froid ?

Il avait remarqué que la femme tremblait. Après ce qui venait de se passer, ce n'était pas étonnant. Lui-même commençait à peine à calmer ses nerfs.

- Je pense que le moment est à présent venu pour moi de vous demander... Quel est votre nom ?

- Je m'appelle Nathil et vous qui m'avez sauvé, quel est votre nom ? répondit-elle

Le calme regagnait peu à peu le cœur et l'esprit de la jeune femme. Dehors l'orage ne faiblissait pas et la pluie d'une rare violence engorgeait les rues ; les ivrognes déjà bien saoul ne se souciaient ni d'Embral et Nathil, ni de l'orage. Ils étaient trop occupés à se remplir la panse d'alcool fort en beuglant des folles ritournelles.

Perdu dans la marrée, sans vivres, sans eau,
J'ai vu près de moi la mort me guetter,
Au loin une terre de lumière et de feu,
Sur laquelle la mort prit mes matelots.
Seul sur les sables blancs,
Elle est venue me sauver,
Et depuis ce temps,
Je bois à sa santé !
Hydry'ïa

Les chants qui suivirent n'avaient rien de beaux étant donné que tous hurlaient comme des bœufs, cela dit Embral et Nathil pouvait parler tranquillement sans devoir hausser la voix.

- Mon nom sera Embral, s'il vous plait de m'appeler ainsi, fit le voleur en la saluant.

Il sourit tout en écoutant les soiffards hurler un chant, un peu plus loin. C'était dans ces moments là qu'il sentait l'âme d'Uden, forte et solidaire comme les montagnes, et dans les paroles de la chanson, il décelait aussi beaucoup de sentiments. Son coeur fut si apaisé par cette ambiance festive, qu'il ne pu s'empêcher d'applaudir en riant après le quatrième couplet. Puis il se retourna vers Nathil.

Sauveur, moi ? Non. Il est tout à fait normal d'aider une femme en danger.

Néanmoins, le voleur ressenti une certaine joie nouvelle, au fond de lui. Ou plutôt, une très vieille joie, depuis longtemps éteinte. En Nathil, il avait peut-être redécouvert une amie.

Le visage de Nathil était magnifique, ses traits fins n'enlevaient aucun charme à ses yeux bleues cobalt et à sa chevelure brune. Pendant un court instant elle semblait se plonger dans ses pensées quand soudainement coulèrent de lourdes larmes de peine dans un sanglot incontrôlable. Embral n'eut aucun mal à comprendre que celle qui devant elle s'effondrait dans le chagrin venait de comprendre que son mari n'était plus de ce monde. Les chants se turent un instant et le tavernier inquiet rappliqua aussitôt.

- M'dame ? dit l'homme à la voix douce.

- Pardonnez-moi... mon mari n'est plus... parvint-elle à dire avant de retomber dans la souffrance de larmes aux allures de poignards.
Le tavernier se retourna alors vers Embral et lui glissa à l'oreille un discret : "Prenez soin d'elle."

Embral baissa le regard, ne sachant quoi dire. Il prit la main de Nathil entre les siennes, et y déposa un objet au creux de la paume. Il y laissa une sorte de petite poupée de tissus, pas plus grande qu'un pouce.

- Votre mari sera vengé, vous avez la parole d'un... ma parole.

Le voleur préféra laisser ce qu'il était dans l'ombre et le secret. Cela pourrait effrayer la jeune femme. Elle n'était pas prête à apprendre que son "sauveur" était en réalité un pilleur et un contrebandier. Embral choisit plutôt de la réconforter. Pendant de longues minutes, il essaya d'en apprendre un peu plus sur elle, sur son mari et sur son fils.

- Le temps ne s'arrange pas dehors. Je vais essayer de récupérer quelques affaires chez vous. Et dites au tavernier que je règlerai la note au retour.

Sur ces mots, Embral se leva, posa le linge blanc sur la table, et salua Nathil d'un sourire qu'il voulut rassurant.

Durant sa maigre conversation avec Nathil toujours en larme Embral apprit que son mari était autrefois un dévoué soldat de la garde d'Uden aujourd'hui à la retraite et sûrement défunt bien qu'il fut encore vie à l'arrivée du voleur dans la maison.
Marchand sous la pluie, le jeune homme arriva devant la belle demeure de Nathil. Trempé de la tête au pied il pénétra dans la petite entrée dont la porte était restée ouverte, seulement quelque chose vint attirer l’œil aguerrit du voleur : le corps du mari n'était plus là, une longue traînée de sang glissait disparaissait dans une pièce adjacente au salon.

Embral pénétra prudemment dans la maison, tous les sens alertes. Le Lycanthrope était-il revenu ? Le voleur s'accroupit près de la trace de sang, posa un doigt dessus puis regarda le battant de porte entrouvert devant lui. Il se redressa et suivit la trainée rougeoyante. Une fois dans la petite adjacente, il vit que celle-ci continuait jusqu'à une seconde porte, à l'opposé.

Je ne le sens pas bien...

A présent face à cette même porte, il la repoussa vers l'intérieure, et entra lentement dans la pièce suivante...

La prudence du jeune voleur lui permettait de guetter le moindre bruit suspect, le Lycan l'avait déjà surpris une fois et cela n'allait sûrement pas recommencer.
La trainée de sang menait à la dépouille du mari, il avait dû essayer de ramper pour se cacher mais ses blessures trop graves avaient eu raison de lui.
Soudain à travers le brouhaha de la pluie et de l'orage Embral entendit le son cadencé de la cloche d'Uden : cette cloche d'alarme avait pour unique but d'appeler tout le monde à la vigilance car un ennemi était dans Uden !
Nul doute qu'il s'agissait du Lycan qui n'avait plus beaucoup de temps à vivre maintenant que la garde de la ville est à ses trousses.

La cloche résonnait aux oreilles d'Embral, qui se dépêcha de sortir dans la rue. Le Lycan était donc repéré. Alors que faire ? Laisser la garde s'occuper de lui ? Après tout, il n'aurait pas de mal à le vaincre.

Puis Embral pensa à Nathil. S'il ne voulait pas tuer la bête, c'était par respect pour elle. Tant cruel qu'il était, le Lycanthrope était son fils. Son fils, et elle devait tenir à lui. Les cloches sonnaient dans Uden, et Nathil les avait certainement entendu. Le voleur imagina le regard affolé de la jeune femme qui allait certainement, tout comme lui, comprendre la raison de cette alerte générale.

Il y a toujours un espoir...

Embral observa le ciel gris secoué de pluie et d'éclairs. Une décision... Sa détermination se renforça. Il se mit alors en route pour retrouver le Lycanthrope. Mais pas pour l'éliminer, non. Il devait tenter de le ramener...
Il n'aurait pas de difficulté à le retrouver : suivre les gardes. Mais le véritable problème était de le trouver avant eux. La suite de son plan était vague, confuse.

Comment retrouver un Lycan en fuite ? Uden était une ville qui regorgeait de soldats et il faudrait à Embral beaucoup d'audace pour le trouver avant l'armée qui s'activait. Le pas cadencé des cohortes résonnait dans les rues et fouillaient les moindres habitations.
Soudain un homme à la mine épuisé approcha du jeune voleur.

- Savez-vous ce qu'il se passe ? Je n'ai nul endroit où aller et avec à entendre la cloche il n'est pas bon de rester dehors.

L'homme s'abrita sous le porche d'une maison aux volets clos.

Embral s'approcha du porche.

-Vous faites bien de chercher à vous abriter. Si la cloche sonne, ce doit être qu'une menace plane sur les habitants d'Uden. Je peux vous conduire en lieu sûr.

Le voleur lui fit signe de le suivre, et entama une course discrète dans les ruelles des quartiers, pour atteindre le plus rapidement et le plus sûrement l'auberge. Il aurait ainsi l'occasion de rassurer Nathil qui devait être dans tous ses états.

-Les gargotes sont plutôt sûres et accueillantes. Vous y trouverez sécurité.

Tout en courant, Embral réfléchissait. S'il se trompait, il n'aurait
plus guère de chance de retrouver le Lycanthrope avant la garnison. Mais
s'il avait vu juste...

Les deux hommes coururent à travers les ruelles d'Uden, la pluie les ralentissaient mais par chance ils ne tombèrent sur aucun garde. La petite taverne était à quelques pas quand l'homme d'apparence effrayé stoppa sa marche et semblait chercher quelque chose du regard.
La foudre commençait à se calmer et les vents violents s'apaisèrent ; la pluie quant à elle redoublait de force et le sol pavé laissa place à un sublime et chaotique miroir d'eau.

Ses pieds étaient trempés. Des cascades d'eau ruisselaient de ses cheveux. Le voleur vit que l'autre ne le suivait plus.

- Vous allez être trempé jusqu'à la moelle !

Embral perçut alors l'expression étrange sur le visage de l'homme effrayé. Quelque chose attirait son attention, ou plutôt, il se concentrait pour trouver quelque chose...

- Qu'y-a-t-il ? demanda l'homme aux larmes d'acier.

L'homme se reprit et en regardant d'un œil vif ses piètres habits trempés comme jamais il se mit à courir vers Embral qui ouvrit la porte de la petite taverne.
Nathil n'était plus à la table ; le tavernier voyant Embral pénétrer de nouveau son troquet lui fit signe.

- Vous r'voilà ? décidément vous m'apportez encore une nouvelle tête. Il esquissa un petit sourire avant de reprendre. Votre amie est montée en larme dans sa chambre.

Les ivrognes étaient toujours à leur place, certains s'étaient endormis tandis que d'autres poursuivaient leurs chants.

Embral remercia le tavernier et lui demanda un service.

- Pouvez vous vous occuper de cet homme ? Tenez, cet argent. Donnez lui quelque remontant ! Bien, je monte maintenant.

Là-dessus le voleur se retourna vers l'homme dégoulinant de pluie, et lui fit signe de s'assoir à une table. Puis il monta quatre à quatre les escaliers et se dirigea vers sa chambre, juste à l'étage. Il frappa à la porte et entra.

Avant qu'il ne monte rapidement, le tavernier eu tout juste le temps de lui glisser où trouver la chambre de Nathil. Cette dernière entendant quelqu'un frapper à sa porte lança un timide : "Entrez."
Embral constata alors que la jeune femme avait réussi à sécher ses larmes.

- Oh Embral, en entendant dehors la cloche d'alarme j'ai cru qu'il vous était arrivé quelque chose...

Nathil se leva et enlaça le jeune voleur.