Le bastion d'Uden

En entrant, Embral fut d'abord surpris par les gigantesques murs et les bannières du bastion, puis il pu observer les innombrables soldats qui s'y trouvaient. Tous semblaient porter la même armure, le même blason ; l'unification.
Le voleur s'avança vers un garde proche de lui, se présenta et lui demanda de lui indiquer le bureau d'inscription.

Le bastion était une citadelle unique dans tout Kazarak, des écrits relatent que nul ennemi n'est jamais parvenu à y pénétrer. Il fallait avouer qu'en son sein résidait les plus grands soldats de l'armée royale.
Le bastion à ce qu'il s'en disait dans les rues de la ville était composé en plusieurs parties : une destinée à la vie des troupes, une autre pour l'entrainement, une forge militaire ainsi qu'un hôpital et reculé dans la plus gardée des tours : les appartements des Seigneurs d'Uden.
Embral qui n'eut aucun mal à entre dans le bastion s'empressa d'interroger le premier garde qu'il vit.

- Vous voulez rejoindre les nobles troupes humaines ? dit le soldat en souriant. Nous n'avons pas établit de bureau de recrutement mais aller voir le chef de bataillon là-bas, il pourra vous intégrer dans le corps de votre choix.

Le soldat qui semblait du même âge que le voleur montrait du doigt un homme barbu et à la carrure puissante, ce dernier portait une armure d'argent frappée du sceau de l'Alliance. Le chef de bataillon semblait parler avec un de ses pairs.

Le voleur exécuta le salut de l'armée tant bien que mal, et s'éloigna du jeune soldat. Il alla rejoindre le colosse qui semblait diriger les armées.

Ainsi donc, les barbes sont admises dans l'armée...

Embral attendit que les guerriers en aient terminé avant de prendre la parole. Il en profita pour admirer une fois de plus l'imposante architecture du bastion.

- Je cherche à m'enrôler dans l'armée, on m'a envoyé vous voir.

Le chef de bataillon qui n'avait pas vu venir le jeune voleur se retourna avec étonnement, il fallait avouer qu'Embral avait été plutôt direct dans sa requête.

- Vous enrôler dans l'armée ? Mais avant j’attends de vous que vous vous présentiez !

La voix sévère du chef de bataillon fit tourner quelques têtes et baisser certains yeux mais malgré son allure stricte il semblait dévoué à ses principes et à l'honneur.

Embral se sentit bête d'un coup, très bête, même. Ce n'était sûrement pas comme ça qu'il allait amadouer le chef de l'armée. Il devrait être prudent à l'avenir, ne rien laisser paraître de louche et surtout pas d'étourderies.

- Excusez-moi, dans ma hâte de défendre la ville que j'aime, j'en ai oublié le plus essentiel. Je m'appelle Embral Von Drähken, sire.

Inutile de mentionner le nom de ses parents, tous deux disparus. Le voleur adressa un sourire, ou plutôt une grimace, aux curieux retournés de façon à leur communiquer quelque chose comme : "Bon, c'est déjà assez difficile comme ça". Au dehors, on pouvait toujours entendre le grondement du tonnerre mais dans le bastion, Embral était bien à l'abri à présent.

A l'écoute du nom d'Embral, le chef de bataillon ne put s'empêcher d'esquisser un léger sourire, il fallait avouer que les noms de cette consonance étaient plutôt rares bien qu'il y en aient quelques uns.

- Qu'il est bon de voir encore des jeunes motivés !

Le chef lui fit signe de le suivre. Le bastion était une véritable forteresse, l'intégralité des murs n'étaient fait que de pierres grosses comme des buffles, et les minces meurtrières couvraient tous les alentours. Quelques torches éclairaient les longs couloirs toujours arpentés par des soldats de tout rang, et équipés de la plus simple armure à la plus lourde et étincelante.
Ce n'est qu'une fois arrivé dans une petite pièce décorée de tableau de scènes guerrières, que le chef de bataillon s'assied derrière un grand bureau de bois noble et couvert de parchemins signés par le sénéchal de l'armée royal.

- Maintenant que je sais que tu veux devenir un grand soldat, je dois dorénavant savoir ce que tu es prêt à faire pour l'Alliance !

Le chef de bataillon sorti alors trois parchemins qu'il disposa alignés devant Embral.

- Le premier parchemin est celui de la grande Alliance, tu combattras auprès des Elfes et des Nains dans tous les royaumes de Kazarak, qu'ils soient alliés ou ennemis, qu'ils soient en Eredar ou en Kalëar. Le deuxième te fera entrer dans la puissante armée du Roi, tu arpenteras toute la Galaësia et devra offrir ta vie pour la défendre des hérétiques qui tentent d'y entrer. Et enfin, le troisième parchemin est celui de la garde d'Uden, mais je tiens à te prévenir que notre chère cité n'est pas comme les autres. En cas d'attaque, nous sommes les premiers à pouvoir ralentir l'ennemi pour que les troupes du Roi puissent éviter une invasion. Beaucoup de repos attend ceux qui restent à Uden, mais c'est aussi là que le plus de nos soldats périssent par manque d'entrainement et peur face à la guerre !

Après son discours passionné, le chef de bataillon se recula dans son fauteuil et croisa les bras, attendant qu'Embral signe le parchemin de son choix avec le stylo posé délicatement près des parchemins.

- Je serai honoré de servir le Roi, certes... Et je donnerai peut-être mon âme (ou ce qu'il en reste...) pour défendre cette terre. Mais permettez-moi de m'intéresser un peu plus à la question et à vous demander si d'autres corps existent dans l'armée ? Avez-vous des unités spéciales ?... des assassins ?

Embral s'attendait à ce que le chef ne réagisse d'une mauvaise manière. L'assassinat ne devait pas être la grande mode dans l'armée, ces derniers temps. Le voleur avait pris attention à prononcer le mot "assassins" le plus doucement possible, tout en gardant un air tranquille, naturel et intéressé.

Le chef de bataillon qui s'était attendu à voir le jeune voleur signer l'un des parchemins s'empressa de répondre à la question en prenant un air des plus enjoué.

- Bien sûr que nous avons des assassins, chaque armée en possède... quoique chez les Nains je les imagine mal s'infiltrer discrètement dans quoique ce soit d'autre qu'une taverne. dit-il avant de rire aux éclats. Tu manques encore beaucoup d'entrainement pour espérer un jour partir en mission, mais si tu le désires je peux te trouver quelqu'un qui te formera. Une fois formé, reviens me voir et qui sait... je te prendrai peut être dans mon bataillon.

Maintenant qu'il comprenait le fonctionnement des armées et de l'enrôlement, Embral songea qu'il n'avait plus rien à faire ici, au Bastion. Seulement s'il voulait devenir assassin. Mais il voulait également retrouver le Lycan, et pour cela, s'engager malgré lui dans l'armée...

- À vos ordres. Je reviendrai au Bastion une fois entraîné. Je vous remercie pour les renseignements. Mes respects.

Sur ces brèves salutations, Embral se retourna et se dirigea vers la sortie. Il fallait lui trouver quelqu'un pour le former, à présent. Mais par où commencer ? Comment trouver un entraîneur ?
Le voleur marcha vers un groupe de soldat, et prenant un air des plus sérieux (avec un soupçon d'inquiétude), il s'adressa à un soldat.

- Des amis à moi se soucient de la sécurité des rues. Quand la bête sera-t-elle exécutée enfin ? L'avez vous bien attrapée ?

Les soldats qu'approchaient Embral étaient différent de ceux qu'il avait l'habitude de voir à Uden, leurs armures massives étaient frappées d'innombrables sceaux religieux symbolisant les cultes de Nedra et d'Illumir. Devant l'arrivée fortuite du jeune homme, les sept templiers se tournèrent et se figèrent dans un silence méprisant. L'un d'entre eux prit alors la parole.

- Malgré que j’apprécie l’intérêt que tu portes à la sécurité de nos rues, sache mon petit qu'il est des plus impolis d'interrompre une conversation de la sorte et sans aucune présentation.

Soudain le chef de bataillon avec lequel Embral venait de s'entretenir sortit de son bureau et interpela le voleur juste après avoir saluer de la tête les templiers.

- Embral ! Il y a un assassin royal qui réside ici, tu pourras le trouver dans les quartiers des hauts gradés.

Aussitôt le chef de bataillon rentré dans son bureau que l'un des templiers s'adressa à Embral.

- Aller va apprendre à tuer pour ton roi sans t'inquiéter pour ce Lycan. Il est déjà mort !

Embral salua les templiers et s'éloigna. Il allait passer la grande porte lorsqu'une pensée lui vint. Il n'avait aucune idée de l'emplacement dans lequel se trouvaient ces mystérieux quartiers. Revenu près du groupe de guerriers, le voleur attendit la fin de leur discussion.

- Excusez-moi, mais pouvez vous m'indiquer où se trouve les quartiers hauts gradés ?

- Bien sûre, c'est un petit bâtiment près de la tour sud, tu ne pourras pas le rater. Dès que tu seras dans la cours intérieur tu le verras : il y a des étendards royaux un peu partout.

Le templier dans un sourire salua de la main le jeune voleur avant de reprendre sa discussion passionnante avec ses homologues.
Depuis la fin de l'étrange orage le ciel n'avait pas arrêté de se dégager et un soleil chaud avait embellit le cœur de tous les habitants d'Uden. Seulement le soleil entamait déjà sa lente course vers une nuit paisible pendant laquelle Embral devra se reposer, mais avant il devait rejoindre celui qui peut-être le formerait a tuer comme un prédateur silenceiux.

Embral se réjouissait de sentir les rayons du soleil sur son visage. La morsure au bras ne le faisait plus souffrir. L'idée de trouver enfin un bon formateur le comblait. Il se sentait étrangement seul, mais heureux...
Dans moins d'une heure, il lui faudrait retourner à l'auberge et rassurer sa nouvelle amie. Elle devait se faire du souci pour lui. Du moins c'est ce qu'il pensait... ou espérait. Diable, qui était-il pour éprouver autant de satisfaction d'un seul coup ? Et il semblait beaucoup trop positif. Soudainement il se sentit très bête d'avoir imaginé le visage de Nathil illuminé d'un sourire en le voyant rentrer.
Freiné par son brusque retour à la réalité, Embral grimaça et avança d'un pas pressant vers le lieu dit, en marmonnant des injures contre lui-même. Et effectivement, de la cour intérieur il pu apercevoir une petite bâtisse environnant la tour sud. Il approchait de l'entrée.

La petite bâtisse était vraiment jolie, les étendards flottaient au vent comme des dizaines de danseurs tandis que les étroites fenêtres sombres rythmaient encore un peu plus la beauté des poutres de chênes qui ressortaient des murs.
Ce n'est qu'en entrant à l'intérieur par une belle porte en bois rouge, qu'Embral pu découvrir que les goûts des "grands" d'Uden étaient assez militaires. En effet d'innombrables armes étaient accrochées sur les murs et de vastes peintures guerrières ne faisaient qu'alourdir encore la pièce déjà bien chargée. Il s'agissait d'un grand salon avec de grandes tables afin d'y accueillir tous généraux.
Un homme se leva de son fauteuil et s'approcha d'Embral avec un sourire.

- Vous cherchez quelque chose ?

Embral salua l'homme à son approche. Cette fois, ce serait certainement une conversation plus intéressante.
Comme pour s'assurer d'une conversation courtoise et bienfaitrice, Embral se présenta en premier lieu.
- Je m'appelle Embral et je n'ai jusqu'ici reçu aucun entraînement militaire, seulement les apprentissages des rues. Pour aller droit au but, sauf votre respect, je souhaiterai devenir assassin. Je cherche ici un homme qui serait prêt à me l'enseigner.

L'homme se mit à sourire, non pas comme s'il riait de l'audace du jeune voleur mais plutôt comme s'il s'agissait d'une marque d'attention.

- Je suis le capitaine Edouard et en effet il réside quelqu'un en ces murs capable de vous enseigner l'art de tuer dans l'ombre et le silence.

Au moment même où les mots de l'homme se turent, une lame tranchante vint se placer sous la gorge d'Embral.

- Ne bouge pas. Ta gorge est en otage et au moindre mouvement ma deuxième lame te brisera la colonne. Je veux t'entendre dire à nouveau ce que tu veux. Pourquoi le veux-tu ?

Embral fronça les sourcils. L'homme avait l'air sérieux, ce n'était pas une blague, mais un test.

Il ne doit pas mentir pour la deuxième dague.

Ses motivations, il les avait en tête, bien réfléchies. Néanmoins Embral décida de garder quelques détails pour lui-même. Il voulait être franc et juste envers lui-même, et le mensonge par omission était le seul moyen de contourner certaines vérités... embêtantes.

- Je n'ai plus rien à perdre ici. C'est peut-être étrange à dire, mais la seule chose qui m'importe est cette voie. Je n'ai jamais tué qu'un chien, mais si j'étais à votre place, couteaux en main, je crois que je n'hésiterai pas une seconde. Je tuerai sans réfléchir une proie qui n'a aucun remords à passer l'au-delà, et qui en ressent même une satisfaction. Vous êtes aujourd'hui le pion sur l'échiquier qui détient la mort, celui que je convois depuis des années.

La pression de la dague se relâcha, Embral put alors se dégager et regarder celui qui venait de le menacer. Il s'agissait d'un homme étonnement jeune, moins d'une trentaine d'année à vue de nez. Il était svelte et semblait peu menaçant, mais son regard à lui seul glaçait le sang et forgait le respect.

- Tu as devant toi Nikolaï Enderm, assassin royal de sa majesté, dit-il pour se présenter.

Pour un assassin il ne portait ni armure ni tunique, seulement accrochées sur sa ceinture noire deux dagues courtes à la lame finement gravée.

- Nos ennemis sont impitoyables et ne reculerons pas devant l'honneur de nos troupes. C'est pourquoi l'Alliance décida de former des guerriers non pas au combat mais au meurtre. Oubli l'épée qui tranche la chair, et arme toi du silence. Dans une guerre, est redouté celui capable de tuer sans avoir été vu ! Pour être un grand assassin il te faudra être des plus seuls au monde, sans famille, sans vie... une ombre. Si tu devais tuer quelqu'un comment t'y prendrais-tu ?

- Il y a bien des manières de prendre la vie. Bien sûr, les moyens radicaux : le poison, le couteau. Mais je connais d'autres façons plus lentes, plus destructrices. Et lorsque l'agonie pousse enfin à la folie, et que le supplice rend sa victime dépendante ; quand finalement on en vient à se haïr soi-même, là il est temps de mettre un terme.

Embral pensait que les blessures morales étaient bien plus douloureuses et longues que les souffrances matérielles. Il l'avait compris après une adolescence courroucée.

- Tu as donc beaucoup à apprendre, tu as les armes pour être craint dans les rangs ennemis mais n'oublie jamais que plus tu seras rapide et plus tes chances de survivre seront grandes. Beaucoup des notre ont été envoyés au cœur de certaines villes pour y tuer des généraux mais hélas trop peu d'entre eux n'ont pas été assez rapide.

L'assassin se retourna et marcha quelques pas en direction de la fenêtre. La nuit tombait et l'orage passé laissait au ciel la volonté de se parer de ses plus belles étoiles.

- Part te reposer jeune Embral, demain à ton réveil commencera ton entrainement !

Embral sourit, se courba devant l'officier et répondit brièvement : " Avec joie. " avant de quitter la salle.

En retournant à l'auberge, Embral pressa le pas, pour diverses raisons ; il était affamé et avait besoin de repos. Il souhaitait revoir son amie, Nathil, il voulait prendre de ses nouvelles. Quand à ce cher Lycanthrope qui lui avait presque valu la vie, l'apprenti assassin devait à présent tirer un trait sur lui.
Il aurait bien voulu connaître ce meurtrier. Peut-être se sentait-il rejeté et perdu à l'heure qu'il était... à moins qu'il ne soit déjà mort. Embral sentait qu'il pouvait le comprendre. Tous deux étaient des individus noirs, sales, marchant aveuglement dans un chemin oublié - non, écarté - de la société.